Quatre jours en compagnie du pèlerin

    

Mardi 22 05 2001 :

Comment as-tu fait pour parcourir tout ce chemin ? Ce sont les premiers mots que j'ai dit à mon frère en le voyant, mardi matin, après cinq heures de route.

En effet, je suis parti de Chiré vers 5 heures et je l'ai retrouvé à 10h15, en compagnie d'Alain C...
Sur l'autoroute, à 130 km/h, j'ai vu les panneaux : Lusignan, St-Jean-d'Angely, Saintes, Pons, Blaye, Belin-Beliet. Puis, sur la nationale 10, j'ai remarqué : Labouhere, Onesse-et-Laharie, Saint-Paul-lès-Dax et Saint Palais. Que de distance parcourue !
Il est donc sur le chemin, à la sortie de Saint-Palais, en direction de la stèle de Gibraltar. Il me confie le certificat médical du vétérinaire de Saint-Palais, qu'il a vu ce matin à 8h30, et m'invite à reprendre la route rapidement, les services vétérinaires de Pau font la pause déjeuner à 11h30. 15mn avant la fermeture, je présente le certificat médical, l'ancien passeport et la fiche d'identification de l'ânesse. A 11h30, j'ai un nouveau passeport qui permettra à Nanette d'entrer en Espagne en toute légalité. Ce document doit avoir moins de 10 jours lors du passage de la frontière. La mission est accomplie. Il ne me reste plus qu'à retrouver les pèlerins. Ils m'attendent à la chapelle Saint-Nicolas-d'Harambels, après la stèle de Gibraltar. C'est là que les trois grands chemins se rejoignent. Il me faut grimper pendant 1 km en haut du mont, en pleine chaleur, le sac sur le dos... Patrice n'est pas seul. D'autres pèlerins sont autour de la chapelle, le verre à la main, le téléphone portable à l'oreille ou les pieds déchaussés, exposés au soleil... Nanette est attachée à un arbuste, elle broute. Un petit casse-croûte avec les victuailles d'Alain, un pruneau au cognac offert par le binôme breton et nous accompagnons Patrice un bout de chemin.
Notre pèlerin est en pleine forme : un visage calme et souriant, de gros mollets bronzés, un moral d'acier et une envie de profiter de tous ces instants de bonheurs que le chemin lui procure. Je suis ravi. Nanette a encore ses poils. Il doit en manquer grand comme la main sur son dos, c'est tout. Et en plus, en regardant de près, ça repousse... Ni l'un ni l'autre ne semblent avoir perdu du poids.
 Puis, avec mon véhicule, je raccompagne Alain à sa voiture. Alain, avec qui nous avons fait "l'Ascension au pays des six vallées" l'an passé possède une maison dans les pyrénées. Il n'est pas venu à Chiré le 28 avril mais il tenait à encourager Patrice.
Je retrouve le pèlerin et son âne à 1 km avant Ostabat. Là, il visite l'église, fait tamponner sa crédential, retrouve ses amis bretons, lesquels portent leurs bagages sur des chariots à roulettes. Une petite pause au café pour l'adieu aux copains et nous installons la tente devant un gîte à la ferme. Une tente est déjà là, occupée par un couple de retraités de Perpignan.  Patrice récupère les provisions commandées à Delphine, la bombe anti-mouches déposée par Dominique chez les parents, taille sa barbe et ses cheveux, lit le nombreux courrier envoyé par tous ses fans, se régale  des devinettes et reste en admiration devant les dessins des enfants. Mon coffre de voiture se vide et se remplit aussitôt. Il se déleste de tout ce qu'il n'a pas utilisé durant trois semaines. Nanette a de l'herbe plus qu'elle ne peut en brouter. Le dîner est servi à 19h30. Notre hôte arbore un superbe maillot basque (rouge vert et blanc). Nous sommes 12 à table ! C'est à cet instant que Patrice prend conscience de la convergence de trois chemins à Ostabat. Un excellent repas traditionnel local nous est servi. Les conversations vont bon train : chacun parle de son pays, de son chemin, des passages difficiles, des bons moments, de la tradition basque, des coutumes, de l'élevage de vaches, de cochons et du pèlerinage avec un âne...

Et c'est baignés par le chant des grillons que nous nous endormons. (Sur un matelas gonflable percé pour Patrice...)

 

Mercredi 23 05 2001 :

Réveil à 5h30. Nous sommes prêts pour le petit déjeuner au gîte à 7h. Nous sommes les premiers, les autres ne sont pas encore levés. Nanette a eu sa ration d'orge, elle est brossée, chargée et c'est avec de grands au-revoirs que nous quittons la ferme. Au bout de quelques minutes, je fais marche arrière, j'ai oublié ma gourde. Le temps est très clément, le ciel est voilé, la température est convenable.
Les chemins sont très agréables. En terrain plat, nous croisons un écureuil, des troupeaux de vaches, des chevaux, un poulain de quelques heures... Nous visitons quelques églises, effectuons des pauses barres de céréales, remplissons les gourdes à la fontaine, pausons pour la photo, conversons avec les pèlerins rencontrés sur le chemin.

Nous entrons par la porte Saint-Jacques à Saint-Jean-Pied-de-Port . A l'accueil des pèlerins, Patrice fait tamponner sa crédential, Puis nous descendons prudemment les pavés de la rue de la citadelle, nous changeons quelques francs en pesetas, nous nous recueillons dans l'église Notre-Dame-du-Bout-du-Pont, franchissons la Dive sur le Vieux Pont et sortons par la porte d'Espagne. Patrice a retrouvé les bretons avec joie. Ils se disent au-revoir de nouveau.

Maintenant le chemin ne cesse de grimper. Je trouve mon sac à dos bien lourd. Nous montons jusqu'a Huntto, une ferme-refuge. La douche chaude ainsi qu'une nuit au dortoir sont les bienvenues. Nous avons la chance d'occuper un dortoir où nous nous retrouvons que tous les deux, l'autre est presque complet. L'ânesse occupe un pré non loin de là. A 20h, les pèlerins sont encore plus nombreux qu'hier soir. Nous sommes plus de 20 à la table. La majorité d'entre-eux débute. Ils sont partis de Saint-Jean-Pied-de-Port et font leur première nuit ici. Nous conversons avec un ancien pèlerin qui recommence avec son épouse cette fois, une autre personne qui a déjà fait le Puy Saint-Jean l'an dernier et qui poursuit.... On nous parle d'une mule qui l'an passé s'est cassé une jambe après le col, d'un chemin glissant à cause des pluies etc... Ici, on se souvient du passage de Clouteau avec Ferdinand. Au dessert, on nous sert du yaourt au lait de brebis de montagne, quel régal !

 

Jeudi 24 05 2001 :
A 6h30, lorsque je mets le nez dehors, il y a déjà des pèlerins qui montent en direction de Roncevaux. La brume recouvre la vallée et les sommets. Petit déjeuner à 7h30, départ à 8h. Je tombe la veste rapidement. Ca grimpe dur. Pour un peu, Nanette irait plus vite que nous ! Nous doublons deux hollandaises déjà rencontrées hier et avant-hier. Pour redonner le moral à l'une d'elle qui semble peiner, Patrice lui fait écouter un petit air de violon bien connu de nous tous, (celui joué par Alain au violon le jour du départ) et c'est tout sourire que tous deux sifflent et chantonnent. Nous sommes toujours dans le brouillard. "Nanette, ne passe pas aussi près du bord ! Tu me fais peur !" n'arrête pas de dire Patrice. Le ravin est là, à droite du GR 65. Quelques voitures et V.T.T. nous doublent. Nous effectuons une pause au rocher de la Vierge. Le soleil perce, nous sommes au-dessus des nuages. Nos efforts sont récompensés. Patrice est heureux ! La frontière approche. Un monument indique Saint-Jacques 760 km. Nous effectuons la pause déjeuner juste après le passage du col, dans l'herbe, au soleil, à l'abri du vent, les pieds dans les sandales, sous une voûte d'un bleu...ciel. Les chaussettes et les tee-shirts sèchent. La  descente vers Roncevaux s'effectue sans encombre. L'abbaye se voit de loin. Nous croisons la police Espagnole qui ne demande ni le passeport de Nanette ni celui des pèlerins. Nous sommes en Europe. A Roncevaux, nous attachons l'ânesse dans une cour avec de l'herbe. Il y a foule pour la crédential. Nous visitons la collégiale royale. Les pèlerins sont canalisés par groupe par des guides, on leur montre leurs chambres. Pour obtenir un coup de tampon, il faut remplir un formulaire. Nom, prénom, adresse, nationalité, religion, but du voyage... De quoi alimenter les statistiques. Nous décidons de quitter l'endroit au plus vite. Patrice qui marche seul depuis des semaines n'apprécie pas trop. Radio chemin nous informera qu'il y avait plus de 70 pèlerins au dortoir de Roncevaux ce soir-là. Quatre kilomètres plus loin, au bord de la route, près du ruisseau se trouve le terrain de camping "Urrobi"d'Espinal. Les bases d'espagnol permettent à Patrice de nous trouver un emplacement pour passer la nuit. Nanette a droit elle aussi  à un petit terrain herbeux clos avec une échelle. Par sécurité, Patrice l'attache avec la corde. J'achète du vin et du fromage à la boutique du camping. Dès le repas terminé, je m'endors alors que Patrice consulte son guide pour l'étape suivante. En Espagne, pas besoin de cartes, le chemin est parfaitement balisé. Je suis sûr, que bientôt, c'est l'ânesse qui reconnaîtra les coquilles et les flèches jaunes avant Patrice.

 

Vendredi 25 05 2001

A 5h30 la température  à l'extérieur de la tente est de 5°. Pour ne pas tremper les chaussures et les chaussettes, nous prenons le petit déjeuner pieds nus, dans les sandales. Les campeurs allemands et hollandais guettent notre départ, l'appareil photo en bandoulière. J'ai du mal à remettre mon corps en route. Patrice quant à lui, va très bien. C'est sous le soleil et les flashes que nous repartons. Au village, nous retrouvons un pèlerin qui a passé la nuit à l'hôtel. Les commerces sont fermés, impossible d'acheter le "pano" pour la journée. Aujourd'hui encore, ça monte. Il fait très bon à marcher, la température est idéale. Les pèlerin partis de Roncevaux commencent à nous doubler. La conversation s'engage en anglais  avec deux jeunes Américaines en pèlerinage, pour leurs études, un couple d'Allemands de Cologne, des brésiliens. Des Espagnols font aussi le chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port  à Santiago. Tous sont en admiration devant "el burno". Les autochtones aussi font des commentaires à Patrice en Espagnol. Nous cheminons tranquillement jusqu'a Zubiri où nous nous installons au bord de l'eau pour manger. Nanette se roule dans l'herbe dès que son bât est retiré. Elle broute un peu et s'allonge pour se reposer les quatre pattes. Il lui arrive aussi parfois lorsqu'elle est debout, de fléchir deux pattes en même temps durant son sommeil. L'après-midi, le soleil nous darde de ses rayons. Vers 16h Patrice a pitié de moi et décide après la visite de l'église de Larrasoana de passer la nuit ici. Nous avançons au centre du village, au refuge pour pèlerins. Il n'y a pas de terrain de camping disponible ici. Sandiago, préposé à l'accueil des pèlerin tamponnera la crédential et au moyen d'une photo aérienne, nous indiquera un emplacement pour planter la tente et accueillir el burno. Nous sommes au bord de l'eau, pas bien loin du refuge ce qui nous permet de profiter de la douche et du téléphone. J'ai compté 17 paires de chaussures de marche qui séchaient au soleil et je ne vous dis pas combien de chaussettes et de sous-vêtements...

Pendant que je découvre plus de 10 trous dans le matelas gonflable au fond de l'eau glacée du torrent, Patrice s'informe de l'heure du dîner au restaurant du village. Premier service à 7h avec un menu spécial pèlerin. Il y a foule, mais le patron est habitué. Et c'est à coups de "tranquillé" qu'il place tout son petit monde. Pour le choix du plat principal, c'est steak-frites ou groin-groin (cochon). Tout le monde y trouve son compte. Nous dînons en compagnie de flamands. Mon voisin de table a déjà fait Saint-Jacques l'an passé. Pour le pont de l'Ascension, il accompagne son frère qui est parti de Belgique en passant par le Puy.  Je ne suis donc pas tout seul ! Il a quelques problèmes de plombage avec ses dents. Un pèlerin n'a pas besoin de dents mais de mollets ! Ce soir encore, je ne ferais pas de vieux os, et m'endormirai rapidement.

 

Samedi 26 05 2001

Comme d'habitude au réveil, la température n'est pas très élevée. Nous prenons un café et un chocolat bien chaud, assis sur les caisses. La toile est trempée, les pieds aussi. Nous franchissons le Rio Arga et retrouvons les coquilles. Durant une heure, nous marcherons seuls, patrice sifflant son air favori. Puis tour à tour, nous reverrons des pèlerins rencontrés la veille ou les jours précédents. Notre progression est ralentie par de nombreux portillons, pas tous équipés de barrières. Celui-ci nous oblige à retirer le sac à dos, puis la corde, les tendeurs, la bâche, le sac, le seau, le tire-bouchon, les caisses et à tout remettre en place quelques mètres plus loin. Là, c'est le sentier à flanc de coteau et une rambarde de sécurité bloque le passage de l'ânesse avec les caisses. Et c'est à dos d'homme que les caisses voyageront.  Patrice, tu as bien fait de ne pas trop les charger. Nanette descend sans la moindre appréhension des marches, des escaliers rocheux, des pentes bétonnées. Elle traverse les ruisseaux sans marquer le moindre arrêt.
Le couple d'allemands fait la pause. Madame nous propose de partager un peu de chocolat et Monsieur coupe des quartiers de pomme à Nanette.

Patrice a donné rendez-vous à Annie et Henri A... devant l'église d e Villava à 11h30. Sur place, oh surprise, c'est la banlieue de Pampelune. Pas de pique-nique à l'ombre au bord d'un ruisseau, mais sur un terrain avec de l'herbe sans ombre. Nous sommes conviés à partager leur repas. Après ce moment convivial passé en compagnie du pèlerin, il est temps pour lui de poursuivre sa route. Un au-revoir et un grand merci à mon frère et il nous faudra deux heures de route pour retrouver ma voiture au point de départ, Ostabat. Merci Annie et Henri, sans vous, je ferai peut-être encore du stop au bord du chemin.

Le Jacquet est en route vers Santiago, il est sur son chemin, il est heureux.


Le pèlerin de quatre jours que je suis n'est pas prêt d'oublier son bout de chemin vers Saint-Jacques en compagnie de son frère. Un des plus beaux et des plus enrichissants jamais effectué. Quatre jours de bonheur, de rencontres, de découvertes, de surprises, d'étonnement, de réflexion, de partage, de marche... à poursuivre.